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Jusqu'à la fin de l'année, nous suivons sept élèves d'une terminale S du lycée Kastler de Denain. Troisième rendez-vous, quelques jours avant les fêtes. celui du premier Bulletin.

Charles

Plutôt calme et réservé au lycée «même si on passe des heures à faire des blagues à la cantine», Charles aime, à l’extérieur, rire, s’amuser et danser aux fêtes où ses parents sont invités : «J’adore parler aux gens, échanger… Et puis comme je suis fils unique, j’ai appris à m’adapter aux autres. Quand on arrive seul, il faut vite se faire des copains.»

Plus tard, il se voit prof… ou ingénieur en robotique, même s’il «n’aime pas commander» : «Je trouve ça absurde, tout ce système où les gens ne sont pas à égalité. Supérieur, inférieur, ça n’a pas de sens ! » Les inégalités, justement, sont ce qui le révolte le plus : «Le machisme, le racisme, je ne peux pas ! On a beaucoup parlé politique avec la classe ces derniers temps… Il y a des choses que je ne sais pas comment résoudre, comme le pouvoir d’achat des gens. En même temps, je ne suis qu’un simple élève de terminale S ! » Avec un monde de possibles devant lui.

On se retrouve dans la salle de muscu de Rœulx. Charles est plutôt tennis – il en a fait dix ans – mais il n’avait plus le temps et comme son meilleur pote, Corentin, était motivé pour soulever des haltères, il l’a suivi. «Ça ou autre chose, j’aurais dit oui! Ce qui compte, c’est qu’on soit ensemble et qu’on se défoule.» Il est comme ça, Charles, facile, tranquille, «positif» comme disent ses copains de classe.

Pas stressé en tout cas : «Je n’accorde pas plus d’importance que ça aux notes.» En même temps, quand on a pour commentaire général «très bons résultats» et «travail sérieux»… Mais il insiste : «Je ne travaille pas comme un fou, j’écoute juste beaucoup en classe. Je ne suis pas là pour les notes mais pour apprendre, pour plus tard.» Il participe beaucoup en cours avec des questions compliquées en maths et physique parce que ça le passionne. «J’aime aider les autres aussi. J’invente des exos pour expliquer les maths à ma copine, par exemple.» Sa copine, dont il est «fou amoureux» et avec qui il s’amuse : «On s’est rencontrés il y a un an et demi parce qu’elle envoyait des SMS avec le portable d’un copain. Je lui ai répondu et on a déliré. C’est ça qui me passionne, ce que les gens ont dans la tête. Vous me parlez d’apparence physique, ça ne m’intéresse pas du tout ! »

«Bon trimestre», «très satisfaisant», «sérieux et volontaire», «une réflexion de grande qualité…» Au pire, un petit «poursuivez l’effort», en SVT. Kevin vient d’empocher son «meilleur bulletin du lycée». Il plafonne en histoire et en philo, un peu moins en maths et traîne un peu plus en sciences de la vie et de la Terre. À l’arrivée, un joli 14,2 de moyenne générale, soit trois bons points de plus que l’an passé. «Jusqu’à présent, j’étais un élève moyen…» Il vient d’intégrer la dizaine de tête d’une classe de bon niveau. Kevin ne saute pas au plafond, fidèle à lui-même. À cette discrétion, à ce calme empreint de timidité : «Ça s’est bien passé, ça m’a étonné», livre-t-il sobrement, un léger sourire en prime. Un simple mais lucide constat – «Je bosse beaucoup plus que l’an passé» – et l’annonce, déjà, du pas suivant : «Je vais essayer de travailler encore plus, partout.»

Le jeune homme de 17 ans sait qu’il ne décrochera pas la médecine, qu’il envisage, d’un claquement de doigts. Cette première année commune aux études de santé (PACES), à Lille, qu’Emeline vise elle aussi. 

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Son «Emeline», comme toujours, tous les dix mots. S’il réussit aussi bien cette année ? Ses efforts, bien sûr, mais surtout une Emeline qui «l’entraîne vers l’avant». Ces deux semaines de vacances ? «Comme d’hab’.» C’est-à-dire Emeline et du boulot : «Passer du temps ensemble, presque tous les jours», pour «bosser et quelques sorties». Avec une dissertation de philo dans le viseur. Mais pas que : «On travaille beaucoup mais on arrive quand même à avoir du temps à nous.» Le boulot et le duo ont quand même pris le pas sur le ballon : plus de temps pour le foot qu’il a lâché après sept ans de club. Quelques matchs du Real Madrid, son équipe préférée, à la télé, tout au plus: le VAFC et la ligue 2 ne l’intéressent plus. Kevin préfère pédaler

une bonne trentaine de minutes sur les petites roues de son BMX, lorsque ses parents ne peuvent pas faire les dix bornes qui séparent Wavrechain-sous-Denain de Rœulx et le jeune homme de son Emeline. Kevin, à un peu plus de deux mois de la majorité, quatrième d’une fratrie de cinq, regarde la politique de loin et fonce vers l’avenir. Calmement, pas après pas. Le bac ? «On verra.»

Kevin

C’est une salle encombrée, avec des armoires, des petits bureaux, des instruments. Une petite salle de danse où Jade nous a donné rendez-vous, la salle du club du lycée. Organisée comme à son habitude, elle a amené de la musique (Wreching ball de James Arthur) et danse pour la vidéo avec une grâce, une forme de fragilité qui serrent la gorge. Car Jade n’est pas seulement la-meilleure-élève-du-lycée entre sourire désarmant et volutes de chevelure brune. C’est aussi une fille qui doute d’elle-même : «Je n’ai pas du tout confiance en moi.» Et ne lui dites pas qu’elle est jolie: «Je ne le pense pas vraiment! Je ne sais pas quoi faire des compliments…» Avec sa présence qui rayonne dans la pièce, elle explique :

«Je pense que je vais demander Hypokhâgne option sciences sociales et maths. Je me dis que ça laissera plus de possibilités pour après. J’ai entendu dire qu’il y avait de la compétition, ça ne me plaît pas mais bon.» Jade veut toujours être avocate… ou travailler à l’INSEE. En tout cas, être proche des gens, les soutenir. «Je reste toujours souriante, j’ai du mal à montrer mes faiblesses. Je peux craquer mais seule, dans ma chambre.»

Jade

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Il y a un an, Jade a perdu son père qui est mort d’un cancer en un mois : «Il était très fusionnel avec ma sœur et moi, c’était le papa parfait, il était très organisé – je tiens ça de lui –, très intelligent. Il était technicien d’essai chez Bombardier Transport.» Les larmes aux yeux, elle raconte le décès le samedi et son retour au lycée dès le lundi : «Je ne pouvais pas rester à la maison. Après sa mort, soit je détruisais tout, soit je faisais encore plus pour qu’il soit fier de moi.» D’une voix qui brise le cœur, elle enchaîne : «Quand il est parti, j’ai pensé qu’il ne verrait jamais mon mariage ni mes enfants plus tard…» Aujourd’hui, elle vit avec sa sœur orthophoniste de 23 ans, brillante élève comme elle, et sa maman en recherche d’emploi qui, justement, l’attend dans le hall du lycée pour la rencontre parents-profs et la remise du bulletin: «J’entends toujours que des compliments, il n’y a pas de surprise mais Jade tient à ce qu’on y aille.» On l’accompagne pour découvrir une moyenne à 18,65 et une averse de compliments. Pour «ses résultats et son humilité».

On l’a fait un peu patienter, en retard pour notre rendez-vous. «Oh, ce n’est pas grave, j’en ai profité pour aller au jardin», excuse-t-il paisiblement. Ramasser les tas de feuilles, tailler puis protéger les plantes exotiques, de bon matin… François s’attarde spontanément sur son cher jardin et glisse sur un bulletin moyen dont il se satisfait. 12,65 de moyenne générale : «Depuis la seconde, j’ai toujours tourné autour de ça. J’ai de bonnes appréciations, c’est bien.» Ces vacances, il admet quand même qu’il bossera la physique-chimie, sa bête noire, histoire de tenter d’accrocher la moyenne. Des fiches synthétiques pour les langues aussi, qu’il maîtrise et qui le passionnent, avec les premières épreuves du bac qui arrivent en mars. Il pourra y donner la touche finale en février, avec son «voyage de l’année» en République dominicaine, qu’il envisage avec beaucoup de joie. Mais François se projette déjà plus loin : «Je suis allé au salon de l’étudiant, j’envisage finalement le concours d’infirmier.» Pour trouver du boulot plus facilement qu’en tant qu’architecte paysagiste, dit-il. Mais d’ici là, tout peut changer.

François

Enzo n’a pas encore reçu son bulletin mais il sait déjà qu’il a une moyenne de 15,7 et les félicitations des enseignants pour son «très bon travail». Pourtant, il manque un peu d’enthousiasme : «Si, c’est cool, mais je rate le 16 de moyenne et donc la mention très bien au bac à cause de la philo où j’ai 10,5. Mais bon, on a eu que deux interros, ce n’est pas très représentatif…» Sinon, il s’est décidé pour la médecine : «Je ne veux pas perdre de temps et comme ça m’intéresse… J’irai à Lille. Par contre, je ne sais pas du tout comment je vais faire pour le logement ! »

Enzo

Comme le dit Alexandre, ses résultats sont «moyens» : «Je tourne autour de 11-12, moi ça m’irait mais ma mère, ça l’embête. Les profs, aussi, disent que je pourrais faire mieux. Et puis, bon, il faudrait que j’aie plus sinon mon redoublement ne sert à rien.» Le problème, c’est qu’il n’a pas vraiment envie de travailler : «Je ne sais pas ce qu’il faudrait pour que ça change… Le truc, c’est que je ne m’amuse pas plus que ça. Je parle à tout le monde facilement mais, l’an dernier, on rigolait plus.» À côté de ça, ses entraînements au Mixed Martial Arts (MMA) se passent bien : «J’ai trouvé un sport très complet qui me correspond encore plus que le judo, il y a une bonne ambiance, très familiale. On ne se sent pas rejeté parce qu’on est nouveau.» Le 6 décembre, Alexandre a voté pour la première fois : «J’ai regardé tous les programmes et puis je me suis décidé seul. Je ne préfère pas dire pour qui mais le fait d’avoir voté m’a donné l’impression d’avoir grandi.»

Des éloges et un 16,4 de moyenne. Soit un point de plus que son âge… et aucune surprise pour l’élève brillante ? «Si si, j’ai gagné un point.» Deux ans d’avance, aucune mauvaise note et, au «pire», un (bon) 14 de moyenne en philosophie. Voilà pour les chiffres. Bref, «tout roule» pour une Emeline qui nous répond guillerette et assurée, bien qu’elle confie toujours avoir «pas mal de stress». Pour le combattre, boulot, piano et dodo, l’emploi du temps réglé d’une jeune fille qui tient son cap: celui de la médecine, l’an prochain, pour espérer un avenir dans la recherche. Bon, ce dernier jour de classe avant les fêtes, elle le passe quand même à visiter la rigoureuse prépa du lycée Baggio de Lille. «Ce n’est pas ce que je veux faire mais c’est toujours intéressant à voir.» Avant de bûcher, entre deux repas, durant ces vacances. Avec son Kevin, bien entendu : «Il sera là le 25.»

Alexandre

Emeline

TEXTES

Sophie FILIPPI-PAOLI, Pierre ROUANET

 

PHOTOGRAPHIES

Didier CRASNAULT

 

MISE EN PAGE

Quentin DESRUMAUX

 

REDACTION EN CHEF

Jean-Michel BRETONNIER

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